Un article du Docteur Thomas Lalime, ancien étudiant du CTPEA.

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Jean-Baptiste Anténord, mon ancien professeur d’introduction à l’économétrie et de série temporelle au Centre de techniques, de planification et d’économie appliquée (CTPEA) de 1999 à 2001, a défendu avec brio, le mardi 5 juillet 2022, sa thèse de doctorat  en économie autour du thème : « Pauvreté, risques et inégalités : trois essais inspirés de l’économie haïtienne ».  La thèse a été rédigée en cotutelle à l’École doctorale société et environnement (EDSE) de l’Université Quisqueya en Haïti et l’École doctorale Sciences économiques, sociales, de l’aménagement et du management (SESAM) de l’Université de Lille en France.

La soutenance a été réalisée simultanément en ligne et en présentiel à partir du campus de l’Université Quisqueya où l’impétrant, les membres haïtiens du jury et une assistance selecte étaient présents. Les membres étrangers du jury, à savoir les deux rapporteurs et le co-directeur, ont pu participer à la soutenance en ligne. Le jury a accepté la thèse et a présenté ses félicitations au nouveau docteur de l’Université de Lille et de l’Université Quisqueya qui a été chaudement applaudi par l’assistance. Ledit jury était composé de Sophie Dabo-Niang, présidente ; Emmanuel Flachaire et Beatrice Rey-Fournier, rapporteurs; Étienne Billette de Villemeur et  Raulin Lincifort Cadet, co-directeurs; Bénédique Paul, Jean Marie Cayemitte, Achis Chéry, examinateurs. Evens Emmanuel, vice-recteur à la recherche et à l’innovation à l’Université Quisqueya, a siégé au jury à titre d’invité.

 

Trois essais d’excellente facture

La thèse est constituée de trois essais qui pourront être peaufinés afin d’être soumis pour publications éventuelles à des revues scientifiques. Le premier est consacré au développement de méthodes statistiques adaptées à des situations où l’on ne peut pas supposer, a priori, que l’on dispose d’un échantillon représentatif de la population, mais où l’on dispose par contre de plusieurs sources de données relatives à cette même population. La méthode dite de « capture-recapture », introduite initialement pour faire du dénombrement, est reprise et étendue par l’auteur pour proposer une procédure de régression économétrique qui combine les observations de plusieurs échantillons indépendants pour corriger les possibles biais induits par leur non-représentativité.

Dans le cadre d’un modèle reliant deux variables binaires, Jean-Baptiste Anténord construit les estimateurs statistiques des probabilités conditionnelles tout en calculant leur variance. Ces estimateurs sont asymptotiquement sans biais mais leur variance est supérieure à celle d’un estimateur dit naïf, c’est-à-dire qui ne prend pas en compte les possibles biais de sélection. M. Anténord propose un test statistique pour décider, sur la base de l’importance estimée du biais d’estimation, de l’opportunité d’utiliser ou non la méthode de redressement proposée pour estimer ce modèle binaire. L’une des applications de ce modèle pourrait être le dénombrement des enfants de rue quand il est possible de les regrouper au sein de catégories étanches.

Le second essai propose un modèle théorique afin d’élaborer des stratégies de minimisation des pertes résultant des aléas climatiques pour les petites exploitations agricoles. Plus précisément, il s’agit d’évaluer l’opportunité de recourir à un arrosage manuel, à la survenue d’un épisode de sécheresse, sachant que la récolte n’est jamais à l’abri d’un épisode d’inondation destructeur. Le modèle montre que l’arrosage manuel est rentable et augmente le revenu espéré de l’exploitant si : a) l’intensité des sécheresses est relativement élevée mais le risque d’inondation est peu important ; b) la corrélation entre risque de sécheresse et risque d’inondation est faible ; c) les éventuelles compensations mises en place par l’autorité publique en cas d’inondation tiennent compte de l’effort spécifique des exploitants.

La garantie d’une aide financière exogène et d’une couverture d’assurance endogène en cas d’inondation ont aussi toutes deux un impact positif sur l’effort d’arrosage. Deux résultats importants sont établis : 1) Il n’est pas possible de trouver un niveau d’effort θ; et une police d’assurance inondation A tels que le couple (θ, A) qui maximise l’utilité espérée de l’exploitant soit associé à une situation sans risque pour l’exploitant ; 2) Dans certaines situations, il est impossible d’avoir une assurance inondation rentable si l’exploitant ne fait jamais l’effort d’arroser – et inversément, il n’est jamais rentable de faire l’effort d’arroser, si on ne dispose pas d’assurance inondation. Il s’agit ici d’un modèle qui peut être très utile dans le domaine de l’économie agricole qui pourrait aider à mieux analyser les incitations des exploitants agricoles à déployer un effort optimal en vue d’arroser leur champ.

Le troisième essai s’intéresse à l’impact des inégalités de revenu sur les marges pratiquées par les entreprises, et donc le niveau des prix, et in fine, l’accès aux biens et services pour les ménages les plus pauvres. On propose d’abord un modèle de demande unitaire, que l’on étend légèrement pour incorporer des effets-revenus. Dans ce modèle, quand la distribution de revenu est une distribution de Pareto, la marge réalisée par un monopole peut être calculée par une formule explicite. Cette marge augmente avec les inégalités et tend au contraire vers zéro quand on s’approche de la distribution égalitaire.

Jean-Baptiste Anténord obtient un résultat théorique qui permet d’établir la Schur-concavité d’une fonction implicite.

Dans un modèle plus général, où les individus ont tous les même préférences et diffèrent seulement par leur revenu, il démontre que la marge relative réalisée à l’équilibre par un monopole qui maximise ses profits constitue un index de mesure des inégalités de revenus de cette population. Il existe alors des circonstances assez larges où les inégalités sont source d’inefficacités sur les marchés. Dans ce cas, toute redistribution qui amène à une baisse des inégalités est génératrice d’efficacité indépendamment de toute considération normative. La problématique d’inégalité de revenu et de redistribution de richesses débattue dans cet essai présente une importance cruciale dans les pays en développement, notamment en Haïti où ces inégalités sont particulièrement criantes.

 

Une excellence reconnue par le jury

Les rapporteurs Emmanuel Flachaire et Beatrice Rey-Fournier ont exprimé leur grande appréciation de la qualité de la thèse. « Ce que j’ai trouvé intéressant dans cette thèse, c’est que M. Anténord maitrise un champ assez large d’outils, de concepts, de méthodes et de modèles », avoue  la professeure Beatrice Rey-Fournier. Ils lui ont tout simplement recommandé de mieux documenter la portée des contributions et des applications des essais en Haïti comme ailleurs.

Par exemple, pour le deuxième essai, il faut mieux expliciter le problème spécifique des exploitations agricoles en Haïti, cela permettra de mieux comprendre le contexte et le champ d’application du modèle dans d’autres domaines ou à d’autres types d’économie. Il faut mieux élucider également les spécificités haïtiennes qui pourraient être mieux prises en compte par le modèle. Tous les membres du jury admettent qu’il s’agit d’un travail vraiment remarquable.

Dr Bénédique Paul a pris soin de souligner que Jean-Baptiste Anténord fait partie de la première promotion de l’École doctorale de l’Uniq, une façon de mentionner la qualité et la réussite de ce programme, malgré le contexte global difficile du pays. Sur le deuxième essai, Dr Jean Marie Cayemitte a souhaité plus d’explication sur le mécanisme permettant d’expliquer la corrélation entre inondation et sécheresse. Tandis que le professeur Evens Emmanuel, directeur de l’école doctorale de l’Uniq, souligne la portée de la thèse qui considère des points relatifs à plusieurs objectifs de développement durable (ODD). De plus, il suggère à M. Anténord d’élaborer davantage sur la façon d’utiliser les résultats dans d’autres disciplines afin de transformer la réalité haïtienne.

Dr Raulin Lincifort Cadet, enseignant-chercheur à l’Université Quisqueya, co-directeur de la thèse, énonce trois grandes qualités qui ont permis à Jean-Baptiste Anténord de finaliser son projet de thèse : il est brillant, humble et courageux. Brillant comme en témoigne la qualité de la thèse, humble en acceptant d’être encadré par son ancien étudiant de maitrise et courageux puisqu’il a pu réaliser cette thèse de grande qualité, sans une bourse d’études, tout en continuant à travailler au niveau professionnel pour subvenir aux besoins de sa famille.

Étienne Billette de Villemeur, professeur de l’Université de Lille, co-directeur de la thèse, a tenu à remercier tous les membres du jury, en particulier la professeure Béatrice Rey-Fournier et le professeur Emmanuel Flachaire pour tout le travail de relecture attentive qu’ils ont effectué en tant que rapporteurs. Il a tenu à féliciter Jean-Baptiste Anténord pour l’excellence de ses travaux.

Après la délibération du jury qui a accepté la thèse de Jean-Baptiste Anténord, lui permettant d’obtenir le grade de docteur en sciences économiques, celui-ci a remercié les membres du jury et ses co-directeurs, l’assistance, sa famille et tout le monde qui a contribué à la réalisation de la thèse. Cette dernière n’est qu’une porte d’entrée dans le monde infini de la recherche scientifique. On souhaite que cette aventure lui soit très fructueuse.

 

Thomas Lalime

thomaslalime@yahoo.fr

Source : www.lenouvelliste.com

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